Opinion UPAC

La tentation populiste

Avec l’arrestation du député Guy Ouellette, l’indépendance de l’UPAC est soumise à son test le plus critique depuis sa création en 2011. L’agence de lutte contre la corruption subit présentement un véritable assaut politique de la part des parlementaires. Pourtant, il y a quelques jours encore, ceux-ci exprimaient à l’unisson leur volonté de renforcer l’indépendance de l’UPAC, à l’occasion de l’étude du projet de loi 107, visant à doter l’agence de son propre corps policier. Certains allaient même jusqu’à recommander la nomination du chef de l’UPAC aux deux tiers de l’Assemblée nationale, tellement leur désir de renforcer l’indépendance de l’Unité est grand.

Il y a cependant tout un monde entre les gestes et la parole, car aussitôt que l’arrestation du député Ouellette a été annoncée, les parlementaires ont rapidement pris fait et cause pour leur collègue et contre l’UPAC. Ils ont resserré les rangs derrière l’un des leurs. Dans une rare unanimité, les élus de tous les partis ont exprimé leur méfiance, plutôt que leur confiance, à l’endroit de l’UPAC. Ils politisent ainsi le travail de l’Unité et cherchent maintenant à intimider sa direction. Dans plusieurs pays en voie de développement, les agences anticorruption font régulièrement face à ce que vit présentement l’UPAC. Le Québec veut-il vraiment se joindre à ce malheureux groupe de pays mal gouvernés ?

Dans plusieurs pays en voie de développement, les agences anticorruption font régulièrement face à ce que vit présentement l’UPAC. Le Québec veut-il vraiment se joindre à ce malheureux groupe de pays mal gouvernés ?

Ces événements se déroulent dans un contexte politiquement chargé. L’examen d’un projet de loi qui renforcerait l’UPAC, de même que les sondages récents qui signalent la chute des appuis aux libéraux à moins d’un an des élections, crée une « tempête parfaite » pour ceux et celles qui contestent l’Unité et son leadership. Après de longues années au pouvoir, le PLQ « saigne » et l’opposition, sentant son adversaire plus faible, agit en conséquence.

La politisation des enjeux liés à la corruption est toujours beaucoup plus intense à l’approche des élections. En ceci, le Québec n’est pas du tout différent des autres nations du monde qui, elles aussi, ont mis sur pied au fil des ans des organismes de lutte contre la corruption. Car une fois qu’un système politique se dote d’institutions de lutte contre la corruption, il n’est plus jamais le même ensuite. La création de ces institutions transforme complètement le jeu politique. Celles-ci modifient la « structure des incitatifs » qui informent le comportement des acteurs politiques. Une fois créés, les outils de lutte contre la corruption sont utilisés par les acteurs politiques comme des armes de combat partisan pour discréditer leurs adversaires et gagner des appuis. Les fuites, les allégations, les ouï-dire, les opinions — tout ce qui ne trouve aucun fondement devant les tribunaux — servent de ressource électorale dans le tribunal de l’opinion publique et du Parlement, où l’admissibilité des faits pose peu de problèmes.

La corruption et sa dénonciation peuvent être très payantes sur le plan politique. La corruption fait tomber les gouvernements, comme le montrent la chute de Dilma Roussef au Brésil et celle de Park Geun-hye en Corée du Sud. La corruption peut faire et défaire des carrières politiques. Dans les mains de Xi Jinping en Chine ou de Poutine en Russie, la lutte contre la corruption sert au pouvoir à se débarrasser de ses rivaux. Dans d’autres cas, elle permet à ceux qui se disent ses « héros » de se propulser en politique et de s’emparer du pouvoir. C’est la stratégie qu’a suivie Donald Trump durant la dernière campagne présidentielle, en s’en prenant à « Crooked Hillary » et en faisant croire aux électeurs que tout le système était corrompu (rigged). Le populisme et la corruption sont, en effet, très intimement liés. Comme le souligne le dernier rapport de Transparency International, les populistes se font les champions de la lutte contre la corruption, mais une fois au pouvoir, ils ne font rien ou ne font que la renforcer, en discréditant les institutions chargées de la combattre. Un populisme comparable, alimenté aux théories du complot, « tous pourris ! », n’est pas sans colorer les attaques présentement subies par l’UPAC.

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La criminalisation a un coût

Il est vrai que les enquêtes de l’UPAC prennent du temps à aboutir. Les citoyens et leurs élus sont impatients de voir les filous derrière les barreaux. Mais l’Assemblée nationale a choisi la voie criminelle pour lutter contre la corruption. Ce choix implique des standards de droit beaucoup plus exigeants et qui nécessitent une preuve « hors de tout doute raisonnable ». Or, le doute, c’est-à-dire les quiproquos, les clins d’œil, les non-dits, les ambiguïtés, est toujours au cœur des échanges corrompus. Les individus qui participent à la corruption ne veulent pas se voir comme des corrompus. Ils développent donc des pratiques pour rendre invisible et neutraliser le côté amoral et illégal de leur comportement. Ces pratiques informelles sont cependant difficiles à appréhender avec les instruments du droit criminel. Les preuves doivent être soigneusement construites et cela prend du temps. Le chef de l’UPAC se dit optimiste d’arriver à des résultats sous peu. Pourquoi l’Assemblée nationale lui refuserait-elle le bénéfice du doute ? Son calendrier doit-il être fixé au gré des sondages et des élections ?

Sécuriser la protection des lanceurs d’alerte

L’UPAC dit avoir arrêté le député Ouellette pour « sécuriser des éléments de preuve ». Or, cet objectif semble avoir peu pesé dans la balance face à l’esprit de corps des députés, qui se manifeste surtout lorsque ceux-ci sentent leurs privilèges menacés. L’argument de l’UPAC mérite pourtant l’attention. D’abord, la sécurisation des informations secrètes découlant de son travail d’enquête est ce qui permet de rendre ces informations recevables par un tribunal. Si elles font l’objet de fuites, elles peuvent devenir inopérantes sur le plan judiciaire. Un tel résultat ne peut que profiter aux corrompus, qui voient ainsi leur risque de finir en prison considérablement réduit.

Ensuite, et de façon encore plus importante, sécuriser les informations détenues par l’UPAC veut aussi dire sécuriser la protection que l’Unité peut promettre aux courageux lanceurs d’alerte. Car ceux-ci risquent gros. Leur bien-être personnel est presque toujours amputé. On reconnaît les vrais des faux lanceurs d’alerte facilement : les premiers impliquent souvent des hommes et des femmes qui ont perdu beaucoup et qui, au contraire des seconds, n’ont rien gagné et n’ont pas amélioré leur situation, ni en argent, ni en célébrité ou en réputation politique.

Qui d’autre que l’UPAC peut offrir la meilleure protection aux lanceurs d’alerte ? L’Assemblée nationale, comme l’affirment les députés ? En tout respect, le forum de la nation représente plein de belles et grandes choses et ses fonctions sont vitales à la saine démocratie. Mais l’Assemblée n’est pas un lieu favorable à la règle de droit et à l’impartialité. C’est plutôt un lieu gouverné par les rapports de force et les rivalités partisanes. Les jugements rendus sont politiques et stratégiques. Il faudrait demander à Yves Michaud ce qu’il pense de l’Assemblée nationale qui se constitue en tribunal et en protecteur des citoyens…

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Il faut choisir

Les fuites d’information à l’UPAC semblent causées par les rivalités internes, les luttes de pouvoir et les guerres de clans. Ce n’est pas un hasard si le conflit actuel implique un député ancien policier. Ce type de factionnalisme est reconnu pour être particulièrement répandu dans les organisations qui, comme les forces policières, ne sont pas soumises à de fortes exigences de transparence et qui ont de fortes cultures de solidarité et de loyauté au groupe. À l’UPAC, ce problème général est exacerbé du fait que l’Unité ne dispose pas de son propre corps de policiers, mais dépend d’autres corps, dont les membres peuvent avoir des fidélités et sentiments d’appartenance variés. C’est ce problème que voulait, en partie, régler projet de loi 107, mais sa suspension par le gouvernement soulève maintenant des doutes sur son avenir.

L’Assemblée nationale soulève à juste titre la question de l’obligation de rendre des comptes de la direction de l’UPAC. Mais à cette question, il n’existe malheureusement pas de réponse parfaite. Les parlementaires ne peuvent pas avoir le « beurre et l’argent du beurre ». Ils ne peuvent pas avoir à la fois une agence anticorruption indépendante et redevable aux politiciens. La relation entre les deux doit être absolument étanche. C’est pour cette raison que le modèle du Vérificateur général, ainsi que de tout autre serviteur du Parlement comparable, n’est pas approprié pour l’UPAC. Les agences de lutte contre la corruption les plus efficaces au monde appartiennent plutôt à une « nouvelle quatrième branche de pouvoir », composée d’organismes en général issus mais détachés de l’exécutif, et dont la structure suit le modèle des banques centrales indépendantes devenu populaire à partir des années 90. C’est le cas, par exemple, des agences anticorruption de Singapour et de Hong Kong, qui combinent à la fois les fonctions de police et de procureur.

Qui surveille alors les surveillants ? L’obligation de rendre des comptes des agences anticorruption ne peut être qu’indirecte. Elle ne peut jamais intervenir en amont ; seulement après coup. Elle doit surtout être axée sur des résultats et des indicateurs de rendement clairs et mesurables. Enfin, les bonnes pratiques recommandent de plus en plus la création de comités formés de sages et de citoyens chargés de porter un regard extérieur sur le fonctionnement de l’organisation. Ce comité n’est pas une panacée et il ne remplace par les parlementaires. Mais il pourrait être un meilleur second choix.

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